29mai

I Hate Fairyland : un conte de fées délirant

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Gertrude est une charmante petite fille comme les autres qui rêve d’être une princesse, aime jouer dans sa chambre et se laisser entraîner par son imagination. Un beau jour, à l’instar d’Alice au Pays des Merveilles et de Dorothy dans celui d'Oz, elle se retrouve propulsée - certes de façon abrupte et douloureuse - dans un royaume magique tout mignon, peuplé de licornes, de lutins, de toutes les créations et créatures magiques imaginables et bien plus encore, de toutes obédiences, allures et inspirations.

Il lui est alors remis une carte “au trésor”, devant lui permettre de retrouver son chemin vers le monde réel - spoiler : la carte doit la mener à une clé - et un guide pour le moins particulier en la personne - même s’il s’agit plutôt d’une mouche verdâtre volante, bougonne et désabusée - de Larrington - Larry pour tous -, sorte de Jiminy Cricket dépressif aux mœurs bien particulières et carburant aux substances licites, illicites et peu ragoûtantes. Ensemble, dans une bonne humeur communicative - mais rien ne dure -, ils partent à la recherche de la fameuse clé dans une quête sensée ne durer qu’une seule et unique journée...Des problèmes cependant se font vite jour : Gertrude n’est pas vraiment douée, la carte n’est pas des plus simples à déchiffrer et l’aide apportée par Larry est au mieux anecdotique au pire catastrophique...De fil en aiguille, de Charybde en Scylla, et surtout 27 ans après, Gertrude, dont l’apparence n’a pas changé d’un iota contrairement à son humeur et sa psyché, est toujours à la recherche de cette “****** de clé” - c’est elle qui le dit et de façon fort fleurie, même si dans le langage de Fairyland cela se traduit par des bordées de “Muffin”; “Flûtin” etc...qui excluent toute grossièreté - toujours flanquée d’un Larry dont la dépression croît de façon exponentielle au fil des années. Coincée dans le corps d’une gamine de 8 ans à presque 40 ans, ayant troqué son âme d’enfant, sa naïveté et ses nounours par une sociopathie galopante, une mauvaise humeur perpétuelle et toutes sortes d’armes méta-létales et ultra-mortelles - de la hache au canon, des sorts délétères aux bestioles effroyables -, Gertrude est devenue le fléau de Fairyland. Massacre d’hommes champignons, escroquerie démoniaque aux jeux d’argent, rapine caractérisé d’artefacts magiques, erreur manifeste de victimes - le décompte explose absolument tous les compteurs -, là où Gertrude passe, toute forme de vie - voire de semi-vie ou de non-vie - trépasse. Pire encore pour la flore, la faune et la populace locale, son statut d’invitée de Fairyland la rend virtuellement immortelle, ce qui lui permet de survivre à toute atteinte à son intégrité physique - et c’est heureux parce que celle-ci sera bien malmenée au cours de son périple -. Devant une telle furie barbare, aveugle et, il faut le concéder, passablement drôle, Cloudia, la reine de Fairyland, va tout mettre en œuvre pour biaiser les règles et mettre fin aux errances sanguinaires et imbibées - et pas que de sang - de Gertrude et Larry. Et ce n’est là que le début des maux, aventures et désastres qui vont s’abattre sur les 2 énergumènes...A moins que ce ne soient eux qui les fassent pleuvoir sur l’ensemble de la création... Les royaumes magiques seront-ils libérés de l’apocalyptique petite fille ? Gertrude retournera-t-elle dans le monde réel ? Jusqu'où ira la dépression de Larry ? Toutes ces réponses - et bien d’autres qu’on ne souhaitait aucunement avoir - seront à leur heure apportées. Bienvenue à Fairyland !!!

C’est à un conte de fées délirant et en roue libre, passé au mixer de tous les imaginaires et accompagné d’un shaker complet d’humour sale gosse et de gore somme toute croquignolet auquel nous convie I Hate Fairyland - littéralement “ Je déteste le Pays des Contes de Fées” -. Les grandes épopées et figures des classiques féériques y sont, avec beaucoup de talent et une mauvaise foi jubilatoire et communicative, abordées et détournées au service d’un récit enjoué et sautillant. Totalement allumée et profondément barrée, l’histoire est vive, rythmée avec des punchlines hallucinantes et des expressions hautes en couleur, certaines pouvant même passer à la postérité du fait du détournement “respectueux” qu’elles proposent. A ces qualités d’écriture s’ajoutent des dessins totalement raccords, qui n’hésitent ni à titiller - on peut même dire adopter franchement - le trash, ni à embrasser pleinement le délire environnant. Chaque scène fourmille de détails, de clins d’oeil et de références à la Pop Culture sur fond de couleurs acidulées et de créatures féériques : les rétines sont ainsi conviées une fête perpétuelle et foisonnante, la partie graphique surfant sur le mignon et le kawaï - la versant japonais du mignon - en y appliquant les codes de l’héroic fantasy - démembrement à la hache ; barbares ridiculo-effrayants... -, du swashbuckler - films de pirates avec canons et sabres - des super-saiyan - soit les supers-guerriers de Dragon Ball et donc des combats volants avec boules d’énergie -, du kaïju eiga - film de monstre à la Japonaise façon Godzilla -...Autant dire que les références, quel qu’en soit le média d’origine, sont à la fête et que leur réinterprétation dans le contexte de Fairyland est particulièrement fluide et savoureuse. De façon plus générale, la narration survoltée et la scénographie de haute volée, extrêmement complémentaires, réussissent à atteindre un juste équilibre entre exagération et absurde, relecture de classiques et pêle-mêle pop, humour noir et rires gras, métaphores visuelles et couleurs flashy ; ce qui en soi est déjà un petit miracle. Sous ses dehors de grosse rigolade décomplexée, “I Hate Fairyland” n’oublie jamais de nous proposer un récit agréable au style outrancier mais fort recommandable, avec en filigrane une très belle parabole sur la nécessité de grandir. A lire absolument.

Le créateur de “I Hate Fairyland”, Skottie Young, qui cumule les rôles de scénariste et de dessinateur, est avant tout connu pour ses couvertures « trop mignonnes » réalisées au profit de Marvel Comics - des versions bébés des Avengers, X-Men et autres Spider-Man -. Au vu du succès rencontré, il a présenté de courtes histoires avec ses re créations, sur le même mode parodique, et toujours pour Marvel avant d’écrire la série mensuelle consacrée à Rocket Raccoon - personnage vu dans les 2 films “Les gardiens de la galaxie” -. Depuis toujours intéressé par les mondes imaginaires version féérique, il a précédemment procédé à une adaptation du magicien d’Oz (paru en France chez Panini Comics). Si son trait est le grand point fort de la partie graphique, il est indissociable de la colorisation “aux petits oignons” qu’assure Jean-François Beaulieu, grand habitué de la palette de couleurs, qui s’est illustré aussi bien chez Marvel, DC ou Image Comics. Un duo de très belle tenue pour un titre hautement recommandable.

Pour qui : toutes celles et tous ceux qui veulent décompresser en passant un bon moment ; les fanas des comics gore à l’humour décalé et ravageur ; les zélateurs du grand écart entre classiques et Pop Culture ; ceux qui n’ont jamais oublié les contes de leur enfance et aimeraient en découvrir une relecture des moins aseptisées et des plus drolatiques / lecteurs “un peu” averti - dès 15 ans -

Le + : Skottie Young a reçu avec son comparse Eric Shanower 4 Eisner Awards pour le Magicien d’Oz. “I Hate Fairyland” découle directement de ce 1er récit, Young étant parti de l’idée que Dorothy risquait fort de se voir super agacée à la longue par tous les personnages et habitants d’Oz pour développer le concept et le caractère de Gertrude. Dès le 1er épisode paru, l’accueil critique et public a été très bon.

I Hate Fairyland - broché - série complète - édition Urban Comics - 2 formats existent :
En 4 tomes – 15,50€ l’unité - environ 140 pages chacun - tous les tomes sont parus
En 2 tomes - 28€ l’unité - environ 320 pages chacun - second tome à paraître (prévu aux alentours de septembre 2020)

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